Industrie

Clarisse MAILLET : "Les TPE-PME sont le socle invisible mais indispensable de la réindustrialisation"

Publié le 16 nov. 2025, Modifié le 16 nov. 2025 - Écrit par Tiphaine Ruppert-Abbadi

La présidente de la Confédération des PME (CPME) de Saône-et-Loire et vice-présidente nationale en charge de l’industrie, a dévoilé son livre blanc sur la réindustrialisation de la France à l’occasion de la Semaine de l’industrie (17-23 novembre 2025). Mandatée au printemps dernier par Amir Reza-Tofighi, président de la CPME au niveau national, la directrice générale d’Aérométal, entreprise de recyclage et valorisation des métaux stratégiques issus de l’industrie de pointe, a planché sur le sujet avec une équipe pluridisciplinaire.

Quel est l’enjeu à travers ce livre blanc ?

Clarisse Maillet : "Nous souhaitons montrer que notre pays peut retrouver une partie de sa souveraineté grâce au retour de l’industrie. La souveraineté est essentielle, nous l’avons éprouvé lors de la pandémie de covid et du début de la guerre en Ukraine. Il faut retrouver une autonomie en France et en Europe et, pour cela, relocaliser. L’idée n’est pas de se fermer aux autres mais de prendre une place au niveau mondial. Nous formulons dans ce livre blanc 5 propositions à court terme et 5 autres à long terme, toutes réalisables et mesurables, pour développer la part de l’industrie dans le PIB national. Pour rappel, il s’élève à moins de 11% quand la moyenne en Europe est autour de 14%. Il ne s’agit pas forcément d’actions coûteuses. Certains outils de la réindustrialisation existent déjà, il suffirait de les mettre en place."

Ce livre blanc n’est pas une fin en soi, quel est son objectif ?

C. M. : "Le livre blanc s’adresse à la fois aux décideurs politiques – il sera remis au ministre de l’Industrie – et à l’ensemble des acteurs économiques. Il est le point de départ d’une longue course de fond qui sera réalisée en équipe, sous forme de groupes de travail. Il y en aura un pour chacune des propositions émises, afin d’assurer leur mise en place et leur suivi. Les 5 f iches des propositions à court terme constitueront, en 2027, années de l’élection présidentielle, la première étape."

Pour cette mission, vous avez réuni plusieurs profils autour de la table…

C. M. : "Effectivement, le groupe de travail rassemble des acteurs académiques, notamment un économiste spécialiste de l’industrie, administratifs et industriels. Nous souhaitions par ailleurs couvrir un large panel de TPE-PME : nous nous sommes appuyés sur les fédérations adhérentes à la CPME, qui représentent les filières, et les territoires, émanation directe des entreprises. Nous avons obtenu une belle participation, avec des personnes très positives, volontaires pour avancer dans la réindustrialisation. » Que vous inspirent les retours de terrain ? C. M. : « La première réflexion est que lorsque l’on parle de réindustrialisation, on a tendance à penser aux grands groupes. Même si nous sommes fiers de ces fleurons industriels, ils ne sont pas seuls. Il existe une réelle imbrication entre les grands groupes et les sous-traitants sur des produits de qualité. La réindustrialisation ne se fera pas sans les TPE-PME, elles sont le socle invisible mais indispensable. Le deuxième point concerne la défense de la territorialisation des programmes d’aide. Le ressenti de terrain est que l’on est moins entendu et compris quand on soutient un dossier à Paris que lorsqu’il est examiné dans les territoires."

Quels leviers de réindustrialisation ont pu être identifiés à travers cette enquête ?

C. M. : "La formation fait partie des sujets abordés. Les TPE-PME ont besoin de personnel formé, notamment dans le nucléaire. Nous avons laissé partir nos savoir-faire et aujourd’hui, face à la relance de ce secteur, nous accusons un déficit de compétences. C’est aussi vrai pour les filières de la défense, de la céramique… Certaines entreprises rappellent d’anciens salariés à la retraite pour former les plus jeunes. Si l’on veut réindustrialiser, il faut former. La fiscalité, la compétitivité, le foncier et la simplification ont également été évoquées."

La crise écologique fait-elle partie des préoccupations ?

C. M. : "Il y a une prise de conscience de la part des industriels sur le fait que la réindustrialisation ne peut se faire sans tenir compte des questions environnementales, à travers les aspects énergétiques en particulier. Avec 1 million de salariés et de nombreux développements techniques, les TPE-PME dans l’industrie représente une composante de poids sur laquelle s’appuyer. Pour autant, les entreprises ont besoin d’être accompagnées sur ces sujets car nous constatons des niveaux d’information disparates. Par ailleurs, certains process industriels, dans le textile ou la céramique par exemple, sont difficilement compatibles avec la transition énergétique car elles ne peuvent pas se passer du gaz. Que faire dès lors ? On ne peut pas les laisser de côté, au risque de voir leur production partir à l’étranger. Il faut trouver une solution intermédiaire. Bon nombre de ces entreprises cherchent déjà à optimiser leur consommation et à réduire leur impact, par exemple en réutilisant la chaleur produite. Cette conscientisation se voit aussi sur la R&D : les TPE-PME représentent 19% de la Recherche et Développement dans l’industrie. L’innovation est en place, nous en avons les outils !"

Vous évoquiez des outils de réindustrialisation déjà existants. Lesquels par exemple ?

C. M. : "Je pense notamment à la commande publique, processus mis en œuvre récemment, lors des J.O. de Paris en 2024. Pourquoi ne pas faire perdurer ces bonnes pratiques ? Il y a aussi la simplification, un levier actionné pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris… Pourquoi ne pas faire de même sur tout le territoire ? A la CPME, nous prônons le bon sens."

Comment se situe la région Bourgogne Franche-Comté face à ce défi de la réindustrialisation ?

C. M. "Avec les secteurs de l’horlogerie, l’automobile, du nucléaire, des noms comme SEB ou Kodak, et plus loin, Gustave Eiffel et Louis Pasteur, la Bourgogne Franche-Comté est une région très riche en industries, avec une activité très ancrée et des élus locaux qui ont su rebondir pour réindustrialiser leur territoire. Je pense en particulier à la stratégie de relance de l’agglomération de Chalon-sur-Saône, mon propre bassin, qui a su relever le défi après la crise de 2000-2010 [au moment de la fermeture de l’usine Kodak, ndlr]. Il faudrait réussir à déployer le modèle régional sur tout le territoire national car, finalement, la France entière montre une répartition intéressante : aéronautique et défense dans l’Ouest, automobile dans la Vallée de l’Arve, chimie à Lyon… Avec la force de notre industrie et son antériorité historique, nous parviendrons à réindustrialiser !"

Propos recueillis par Tiphaine Ruppert-Abbadi

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