Industrie

Les entreprises de découpage-emboutissage face aux enjeux de la compétence

Publié le 14 nov. 2025, Modifié le 14 nov. 2025 - Écrit par Tiphaine Ruppert-Abbadi

Attractivité. S’il fallait ne retenir qu’un seul terme de la récente étude nationale consacrée à la filière du travail des métaux en feuille par l’Observatoire des métiers de la métallurgie/OPCO 2i, avec le concours du FIMMEF*, ce serait celui-ci. Où trouver et comment séduire les futurs salariés des entreprises de découpage-emboutissage ? Les régleurs, metteurs au point et autres ajusteurs-outilleurs d’aujourd’hui, mais aussi tous ces métiers de demain qui émergent seulement, mais s’imposeront dans les années à venir. La préoccupation se pose très concrètement pour de nombreux industriels du secteur.

Le rapport dresse le panorama de la filière et de ses enjeux, en même temps qu’elle esquisse des pistes de réflexion. Publié cet été, il a récemment été présenté aux industriels de Bourgogne Franche-Comté.

6 000 à 6 500 recrutements par an d’ici 2030

La France compte près de 1 000 entreprises, soit quelque 51 000 emplois, dans le découpage-emboutissage. « La Bourgogne Franche-Comté, et la Franche-Comté en particulier, est l’une des plus importantes en la matière. C’est le berceau de notre profession », pointe Catherine Larroque, déléguée générale du FIMMEF. "Les grands bassins du découpage sont liés à l’automobile. Notre région est également marquée par une forte implantation de découpeurs à destination de l’électromobilité", précise Thierry Ployer, membre du comité de direction et président d’ISI Group (Besançon – 25).

En BFC comme dans d’autres régions françaises, les professions qui subissent actuellement le plus de tension sont celles liées à la production et à la réalisation. Elles représentent 63% des emplois dans le secteur du travail des métaux en feuilles contre 45% dans le reste de la métallurgie. D’ici 2030, l’étude chiffre les besoins annuels de recrutement de 6 000 à 6 500, dont 1 000 pour compenser les départs en retraite.

Ces tensions s’expliquent entre autres par l’inadéquation entre formations et besoins réels. Les professionnels recherchent des profils techniques de Bac à Bac +2. "Nous avons besoin d’outilleurs, de régleurs… Nous manquons de spécialistes. Chaque jour nous constatons le manque de formations. Cette cartographie de nos entreprises et métiers étaient nécessaires pour montrer aux organismes de formation les débouchés qu’ils représentent", reprend Thierry Ployer. "Notre territoire détient des savoir-faire historiques, spécifiques et pointus, que l’on a su transmettre et transformer avec beaucoup de résilience. Ce sont des atouts pour continuer à développer nos métiers, à condition de trouver les compétences", estime de son côté Nathalie Augé, présidente d’Augé Microtechnic Group (Thise – 25) et référente Territoire d’industrie Alliances Luxe et Précision Doubs.

En matière de formation, les comptes n’y sont pas

En matière de formation, la région n’est pourtant pas la plus mal lotie. La Bourgogne Franche-Comté dispose d’un panel significatif de cursus ″cœur de métier″ de niveaux 4, 5 et 6. Les élèves peuvent ainsi y préparer, par exemple, un Bac Pro Technicien en réalisation de produits mécaniques option réalisation et maintenance des outillages (50 établissements en France – 6 en BFC), mais aussi un BTS Conception des Processus de Découpe et d’Emboutissage (4 établissements en France, dont le CFAI de l’UIMM de Besançon).

Cependant, les découpeurs font face à une double problématique. D’une part, "les savoir-faire de la découpe, du pilotage de ligne ne sont pas enseignés en formation initiale. Aujourd’hui, nous nous battons pour sauver les diplômes de métiers connexes comme l’usinage ou la maintenance de l’outillage, alors ouvrir une section régleur serait inenvisageable. Nous sommes obligés de passer par des certificats de qualification paritaire de la métallurgie (CQPM) qui amène sur cette fonction-là", explique Jean-Charles Thoulouze, directeur industriel chez Sopil (Besançon) et président du Campus des métiers et qualifications d’excellence – Microtechniques et systèmes intelligents.

D’autre part, les formations existantes accusent un déficit d’apprenants. « Il existe à la fois un manque d’attractivité de nos métiers et des filières d’enseignement. C’est une problématique systémique », résume Nicolas Mairot, directeur général de Scoder (Besançon). "À Besançon, nous avons les formations mais pas le taux de remplissage. Les métiers industriels souffrent encore de leur mauvaise image et sont proposés en dernier ressort", considère Thierry Ployer. Jean-Charles Thoulouze de reprendre : « Nous nous faisons connaître auprès des centres de formation, du monde académique du lycée Jules Haag à l’institut FEMTO-St en passant par SupMicrotech pour attirer des jeunes, mais c’est compliqué. Le manque d’attractivité des métiers connexes à la découpe pèse sur l’avenir de ce métier. Tous les grands donneurs d’ordre se tournent vers les pays à bas coût et où la main d’œuvre ne manque pas ».

Maintenir les compétences et booster l’image de l’industrie

L’apprentissage reste un moyen pertinent de former et maintenir les compétences. Scoder en a fait le choix. Les apprentis, plutôt jeunes, représentent entre 7 et 10% des effectifs (100 personnes). "Ils sont présents sur tout le scope, de notre cœur de métier jusqu’aux métiers de la digitalisation, du bac professionnel à l’ingénieur. C’est une démarche de long terme, coûteuse en temps et en ressources que l’on ne peut pas conditionner à l’octroi de telle ou telle subvention", concède Nicolas Mairot. En parallèle, l’entreprise recoure aux CQPM mis en place par l’UIMM pour organiser la montée en compétence des autres employés. Elle développe aussi la transmission entre générations : "Nous anticipons au maximum les départs en retraite afin que les plus jeunes bénéficient d’une longue période de tuilage. Ces métiers sont ceux de nos savoir-faire et nos salariés les plus anciens savent les enseigner".

Catherine Larroque souligne le travail de promotion effectué auprès des jeunes en lien avec les différents organismes de formation, mais aussi lors d’événements tels Global Industrie Paris. Concernant la formation continue cette fois : "Au niveau national, la profession est dotée depuis longtemps de son propre organisme de formation, l’AFPIDEM. Nous sommes capables de former jusqu’au CQPM et avons une habilitation Certimétal. Nous sommes sollicités par des découpeurs-emboutisseurs, des outilleurs mais aussi des donneurs d’ordre qui ont un département spécifique."

Selon le rapport, 11 CQPM développés par la branche correspondent aux besoins du secteur : en 2024, 500 salariés s’y sont formés, avec seulement 16 candidats pour la certification conducteur régleur de presse à emboutir et/ou à découper et 4 pour celle d’ajusteur-monteur d’outillages de production.

Pour renforcer son attractivité, Sopil mise sur la robotisation des tâches répétitives et à faible valeur ajoutée, comme celles de parachèvement, ainsi que sur la polyvalence. La possibilité d’évoluer dans sa carrière via la formation continue, « de goûter à différentes fonctions, de faire des choix » apparaissent au directeur industriel comme autant de leviers de recrutement et de fidélisation. "La robotisation est aussi un enjeu de compétitivité." Et d’ironiser : "Cependant, la souveraineté industrielle passe par les Hommes. S’il n’y personne à mettre devant les machines, cela va devenir compliqué !".

Vers une dynamique collective ?

Ce que pointe aussi l’étude, c’est que les métiers en tension d’aujourd’hui ne seront pas ceux de demain. Pour Nicolas Mairot, il est essentiel de se projeter "pour connaître les difficultés à venir et commencer à s’y préparer". Parmi les métiers émergents, ceux liés aux systèmes d’information, aux bureaux d’études et aux méthodes, à la qualité, à la digitalisation. Et avec eux, l’adaptation des compétences : conduite du changement et sensibilisation à l’intelligence artificielle, acculturation au digital, programmation, contrôle non destructif, entre autres. "L’enjeu sera de conjuguer nos métiers traditionnels et ces nouveaux métiers. On va devoir créer la compétence."

Autre point saillant du rapport de 80 pages, les découpeurs-emboutisseurs ont tout intérêt à unir leurs forces. "Je note une volonté de se rassembler, de coopérer face aux défis qui nous attendent, de créer une dynamique pour notre territoire en matière de compétences", se réjouit Nathalie Augé et dont l’intelligence collective est un de ses chevaux de bataille. "Nous nous sommes servis de l’exemple de l’Italie, où les entreprises travaillent en réseau, ce qui leur permet de partager de la main d’œuvre et des équipements, d’avoir la capacité de répondre à des appels d’offre… Chez nous, cette approche reste compliquée mais l’étude a ouvert des pistes de coopération", complète Catherine Larroque.

 

*. Fédération des Industries Mécaniques – Métaux en feuilles.

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