Face au déclin démographique régional prédit par l’Insee, élus et industriels unissent leurs stratégies d’attractivité
Publié le 27 janv. 2025, Modifié le 28 janv. 2025 - Écrit par Tiphaine Ruppert-AbbadiAvec 2,8 millions d’habitants et une densité de 59 hab./km², la Bourgogne Franche-Comté est la 2ème région la moins peuplée de France métropolitaine et continentale. Et la situation ne devrait pas s’améliorer. Selon les statistiques de l’Insee de fin 2024, la décroissance démographique de la région s’amplifie. Sur la période 2015-2021, elle touche 70 des 113 collectivités territoriales, principalement en milieu très rural (ouest de la Bourgogne, nord de la Haute-Saône et sud du Jura). Pour la période de référence, la Bourgogne Franche-Comté a ainsi perdu en moyenne 3 500 habitants par an, alors qu’elle en gagnait 8 300 entre 1999 et 2009, indique l’institut dans son flash d’août dernier. Dijon et Besançon enregistrent de leur côté une augmentation de leur population. "Ces chiffres confirment une tendance déjà observée. La situation a un impact sur l’ensemble de la vie économique régionale, avec ce risque de ne plus trouver les compétences nécessaires à nos entreprises, notamment celles qui vont devoir recruter dans les années à venir, comme l’industrie nucléaire", note Nicolas Soret, vice-président de la Région Bourgogne Franche-Comté en charge de l’économie. En effet, la population active pourrait passer de 1,27 million en 2021 à 1,12 en 2050. L’une des plus fortes baisses régionales en France.
Natalité en berne, vieillissement et désamour de la jeunesse
Parmi les causes, le solde naturel déficitaire (- 0,1%) de la Bourgogne Franche-Comté. Or, désormais, dans une proportion croissante des EPCI de la région, le solde migratoire ne compense plus cette faiblesse : 42 d’entre eux recensent plus de départs que d’arrivées. Un phénomène notable dans les territoires particulièrement tournés vers l’industrie.
Autre facteur, le vieillissement de la population, moins jeune que dans le reste de la France. Les plus de 45 ans représentent, en BFC, plus de la moitié des habitants et, selon une note de France Travail, 30% des actifs étaient âgés de plus de 50 ans entre 2015 et 2021 (28% sur la période précédente). Pour l’Insee, la région pourrait compter 34 000 actifs supplémentaires de 60 ans ou plus d’ici 2050.
Ce vieillissement s’explique aussi par le départ de nombreux jeunes pour étudier ou travailler dans des territoires plus dynamiques. "Moins il y a d’habitants, plus il est difficile de se former. L’offre en études supérieures est trop peu développée. Au mieux, les étudiants partent à Besançon, au pire à Dijon, Strasbourg, Lyon… et ne reviennent pas", déplore Jean-Luc Quivogne, président d’Aria Industries (70), de la CCI Saône-Doubs et de l’UIMM Bourgogne Franche-Comté, qui tisse de nombreux partenariats avec les acteurs de la formation (initiale et continue, enseignement supérieur…).
Autre enjeu de poids, la mobilité et des voies de communication inadaptées. "Dans nos zones rurales, on ne peut pas malheureusement se passer de la voiture", rappelle-t-il.
Des industriels inquiets
L’industrie demeure un marqueur fort de l’ensemble de ces problématiques, relatif à son poids dans l’économie de la région. Selon France Travail, ce secteur pourvoit 23% de l’effectif salarié de BFC, contre 16% au niveau national et 18% des offres d’emploi. Avec 14 700 établissements industriels, la région pèse 5% de la valeur ajoutée industrielle de la France.
Alors, le déclin annoncé n’augure rien de bon pour une filière qui ressent déjà des difficultés à recruter sur certains métiers. "C’est une catastrophe ! La France a déjà perdu plus de la moitié de son industrie en 30 ans, qui pèse un peu plus de 10% du PIB, là où l’Italie et l’Espagne affichent 15%, et l’Allemagne 21%. De plus, les Américains font des appels du pied à nos ETI pour qu’elles s’installent aux États-Unis", reprend Jean-Luc Quivogne.
Tandis que Nicolas Soret pointe « le soutien transversal » apporté à l’industrie par la Région, David Marti, président de la Communauté urbaine Le Creusot-Montceau (CUCM) et maire du Creusot affirme : "Ce déclin est une réalité et un défi auquel on ne peut rester indifférent, mais ce n’est pas une fatalité ! Il faut se donner les moyens, jouer sur tous les leviers et ne pas se mettre d’interdit". "Nous avons des atouts : le foncier est très abordable, les taxes raisonnables, il est possible pour un ménage de se loger raisonnablement. De plus, notre région se situe vraiment au cœur de l’Europe", vante également Jean-Luc Quivogne.
Ainsi, la Région expérimente-t-elle, depuis 2024 et pour 3 ans, une campagne d’attractivité originale de ″recrutement″ de nouveaux arrivants. Une plateforme digitale permet aux candidats de se renseigner sur les destinations et de contacter un agent d’accueil, en lien avec le tissu local, pour être guidés dans leur mobilité, rechercher un logement, une place en crèche, trouver des pistes d’emploi pour un conjoint... 34 collectivités territoriales et EPCI sont déjà engagés aux côtés de la Région et des institutions partenaires (AER, CRT, CCI BFC…).
Attractivité et créativité, un effort partagé
Renforcer l’attractivité, les élus de Saône-et-Loire y travaillent depuis plusieurs années. Jusqu’ici relativement préservé, le département le plus peuplé de la région est lui aussi menacé par la décroissance et le vieillissement. La Saône-et-Loire a perdu près de 5 900 habitants entre 2016 et 2022, là où le Doubs en a gagné plus de 10 000 et la Côte-d’Or quelques 4 600, toujours selon l’Insee. Selon l’un des trois scénarios modélisés, d’ici 2070, sa population atteindrait 477 000 habitants : 75 000 de moins qu’en 2018, où elle en comptait 550 000. En 2070, les plus de 65 ans seraient en outre 2 fois plus nombreux que les moins de 20 ans, avec un impact évident sur le nombre d’habitants en âge de travailler.
Interrogé, Sébastien Martin, président du Grand Chalon Agglomération et maire de Chalon-sur-Saône, goûte son répit. "À court terme, cette dynamique ne nous touche pas vraiment. Depuis 2014, notre agglomération a gagné 1 000 habitants venus de l’extérieur, surtout grâce à Framatome. Les collectivités périphériques sont davantage concernées." Mais il sait que la proactivité reste de rigueur et déploie depuis 2015 son plan de reconquête industrielle, dont la ZI SaôneOr est la pierre angulaire. "En 2018, les premiers investisseurs se sont intéressés à nous et depuis cela s’enchaîne. Les derniers en date sont les Espagnols de Vickyfoods, Atlantic Groupe et en 2026, le fabricant de micro-batteries ITEN, mais il y a aussi une dynamique endogène. Aujourd’hui, la perte d’emplois liées à Kodak est complétement absorbée."
Au-delà de l’emploi, l’Agglomération estime qu’il est important d’avoir une approche globale pour améliorer le cadre de vie dans son ensemble pour tous, y compris pour les étudiants car « nous ne sommes pas épargnés par la fuite des cerveaux ».
Des Français d’Outre-Mer appelés en renfort
La CUCM, 95 000 âmes, a, elle aussi, subi les conséquences de la désindustrialisation. Elle se veut aux côtés des entreprises dans leur stratégie pour attirer et maintenir les compétences, qui va de pair avec son marketing territorial. "Quand un chef d’entreprise recrute, tout compte, pas seulement l’aspect salarial. Nous travaillons, avec l’UIMM, sur une offre de formation en adéquation avec les besoins du bassin, mais aussi sur le soutien à l’innovation. Nous avons d’ailleurs inauguré en octobre 2024 le Technopole Sud Bourgogne", déclare David Marti.
L’habitat, notamment le parc privé, vétuste, fait aussi partie des préoccupations. « Cela porte ses fruits, l’image du territoire change. La démarche de la Région va nous permettre de consolider cet investissement. » À titre expérimental, la CUCM fait appel aux Français d’Outre-Mer sans emploi prêts à tenter l’aventure métropolitaine. Dès 2025, les premiers candidats seront accueillis au Creusot pour s’y former en partenariat avec l’UIMM. "Cela pourrait contribuer à fixer la population". » Et pour contrer le vieillissement, l’édile questionne : "Pourquoi ne pas accueillir davantage d’étrangers ? La natalité seule ne suffira pas".
Et Jean-Luc Quivogne de prôner "une révolution familiale" : une réflexion autour d’un statut pour le parent qui met sa carrière entre parenthèses pour élever les enfants le cas échéant.
Pour Nicolas Soret, ces stratégies sociales et territoriales, ainsi que la promotion des métiers, sont essentielles : "Il en va de la survie de nos filières industrielles !". Toutefois, "les entreprises ont leur propre rôle à jouer en matière de politiques innovantes et d’attractivité, notamment en direction des cadres et ingénieurs. L’effort doit être partagé et doit aussi venir des entreprises".