Industrie

Face à l’explosion du coût de l’énergie, les industriels de Bourgogne Franche-Comté pro-actifs

Publié le 27 févr. 2025, Modifié le 11 mars 2025 - Écrit par Tiphaine Ruppert-Abbadi

"L’anticipation est un vrai levier !" Pour Franck Bulle, chargé d’affaires grands comptes chez Alliance des Énergies, société de courtage, les chefs d’entreprises qui s’étaient emparés de la question énergétique avant la crise de 2022-2023 ont mieux traversé cette période de turbulences que les autres. Maintenances du parc nucléaire français (2021), avec pour effet une production moindre, et conflit russo-ukrainien (2022) avaient en effet confronté nombre d’industriels, en Bourgogne Franche-Comté comme ailleurs, à l’explosion de leur facture énergétique, en particulier ceux qui n’avaient pas pu renégocier leur contrat en amont.


Concernant l’électricité, avant la crise, le mégawattheure (MWh) pouvait se négocier sur le marché de gros à 60 €. En 2022, son cours avait grimpé en flèche, pouvant atteindre les 500 €/MWh. Au 1er semestre 2023, il s’élevait toujours à quelque 215 €/MWh, selon le ministère de l’Aménagement du territoire et de la Transition énergétique. Malgré une diminution du coût de l’énergie en 2024 (en moyenne 172 €/MWh au 1er semestre) et une baisse d’environ 15% des tarifs réglementés de vente de l’électricité au 1er février 2025, notamment pour les PME, la situation demeure plus difficile qu’avant la crise. "Le marché a retrouvé de la stabilité mais les tarifs sont toujours 30 à 40% plus élevés. Aujourd’hui, les prix tournent autour de 110 €/MWh et cela deviendra la normalité dans les années à venir. Pour 2030, on prévoit un prix de 130 € », reprend Franck Bulle, qui accompagne de gros groupes industriels dans leur politique d’achat et l’optimisation de leurs contrats. « Actuellement, mes clients privilégient la visibilité et la sécurité, en optant pour des contrats sur 3 ans plutôt que de renégocier annuellement. 80% d’entre eux ont acheté leur énergie jusqu’à fin 2027 et je les mobilise déjà pour 2028-2029."
Quant à la fin (prévue tout au long de 2025) du bouclier tarifaire et des amortisseurs à destination des entreprises, mais aussi de l’ARENH, qui contraignait EDF à revendre une partie de la production à prix régulé aux fournisseurs alternatifs, "cela a déjà un impact sur le marché et les achats de 2027. Les indicateurs sont à la hausse".


Le monitoring pour un suivi au plus près du réel 


Pour éviter de payer cher le prix d’éventuels nouveaux soubresauts du marché, qui ont pu entraîner dans certains cas l’arrêt de production, les entreprises se sont emparées du sujet.  La société de découpage-emboutissage Grosperrin à Pirey (25), dont la facture a été multipliée par 10, a par exemple "remplacé tous les néons par des tubes à LED (- 48% de consommation électrique) et opté pour des compresseurs à vitesse variable (- 45%). Le changement de nos vieilles chaudières devrait permettre d’économiser 30 à 40% de gaz et nos nouvelles presses sont bien moins énergivores", relate Fabrice Garnache, responsable industriel.  L’entreprise a aussi finalisé la construction de son nouveau bâtiment, prévu pour accueillir en cas de besoin des panneaux photovoltaïques, et quitté l’ancien, « une véritable passoire énergétique ».


Lionel Robbe, ingénieur-conseil en transition énergétique et climatique chez Planair, confirme : "Les dirigeants industriels ont pris conscience de l’importance du facteur énergétique dans leurs dépenses et cherchent à en atténuer l’impact sur l’organisation. Au-delà, la question de la décarbonation de l’activité a de l’importance vis-à-vis des clients, donneurs d’ordre et candidats au recrutement ".
Anoxyd, société de traitement de surface implantée à Geneuille (25), dont les activités d’anodisation, traitement thermique et dégraissage représentent d’importantes dépenses énergétiques, est passé de 200 000 à 600 000 € de facture d’électricité entre 2023 et 2024. "Nous avons mis en place un plan de comptage pour analyser et mieux maitriser nos consommations énergétiques. Cela nous a permis d’optimiser nos process et de réduire l’impact financé sur nos clients", souligne Sébastien Delacroix, directeur du site. 
Des process ont été modifiés : les machines à laver, allumées toute la journée sur 5 jours, mais ne produisant que sur 2, sont désormais mises en route en fonction de la charge, qui a été regroupée. "Il y a plus de délai mais les clients préfèrent cela à une hausse des prix, qui nous aurait fait courir le risque d’une grosse perte de part de marché".  Les cuves d’anodisation sont elles aussi allumées en fonction des besoins.
Investissement : 12 000 €. Gain : 100 à 150 000 € depuis l’installation du système de monitoring. À 500 000 €, la facture annuelle reste salée ! "Nous espérons retrouver notre niveau de facturation antérieur à la crise, mais notre démarche seule ne suffira pas, il faut également un coup de main des fournisseurs d’électricité." Le pilotage en temps réel devrait être étendu au reste du groupe Stach, auquel appartient Anoxyd.


Des démarches globales et pérennes


Électrolyse Abbaye d’Acey, à Vitreux (39), a entrepris un audit énergétique juste avant la crise et a, lui aussi, investi dans du matériel de surveillance en temps réel. "Cela a accéléré les choses mais nous l’aurions fait de toute façon : nos actionnaires sont sensibles aux questions de consommation et d’autonomie énergétiques", déclare Bertrand Sancey, directeur opérationnel de cette autre entreprise de traitement de surface des métaux, fondée et gérée par une communauté de moines cisterciens. 
Parmi les adaptations peu coûteuses, les bains de traitement, désormais chauffés par échangeurs à eau, ont été recouverts de petites billes pour limiter l’évaporation. Les étuves de séchage ont été automatisées. Plutôt que de les maintenir à 80°C de 4h à 20h, elles s’allument une dizaine de minutes avant l’arrivée du tonneau et se coupent à la fin du processus. 
La consommation électrique a baissé de 15 à 20% par rapport au plus fort de la crise et 250 000 KWh ont ainsi été économisés entre 2022 et 2024, mais le surcoût par rapport à l’avant-crise perdure (+15%) et le travail n’est pas terminé. Afin de cesser de consommer du fuel et atteindre l’autosuffisance énergétique d’ici 2030, l’entreprise est en train d’installer un système biomasse au miscanthus pour chauffer à la fois le bâtiment et les cuves de traitement. Elle prévoit aussi de réviser et de remettre en marche une ancienne turbine hydroélectrique et d’installer des panneaux solaires. "La préoccupation environnementale n’est plus prise comme une contrainte, elle donne une dynamique à l’entreprise."
 

STI Genlis (21) a aussi instauré une démarche globale. Bien que le câblage et la fabrication de faisceaux, platines, coffrets et armoires électriques reste une activité industrielle peu gourmande en énergie, STI Genlis a tout de même dû rogner sur ses marges et aussi appliquer une hausse de prix à ses clients.  Au déclenchement de la crise, son dirigeant Denis Boulinier travaillait sur un projet de nouveau bâtiment, avec pour objectif la décarbonation. "La crise a été décisive dans le choix d’installer des panneaux photovoltaïques sur la moitié de la surface des ateliers, soit 2 400 m²", indique-t-il, précisant que l’ensemble des composants de son installation provient d’Union européenne et que les cellules sont dépourvues de plomb. "Au bout d’1 an, nous voyons déjà la différence : ma facture globale d'énergie a diminué de 40%." La totalité de l’entreprise est éclairée par LED et lumière naturelle, grâce aux grandes baies vitrées et au skydome. Le chauffage est assuré par des rooftops et pompe à chaleur électrique qui ont remplacé la chaudière à gaz. En outre, des essences d’arbres résistantes à la chaleur ont été replantées tout autour de l’entreprise, favorisant le retour de la biodiversité.


Une facture compétitive

Signe que les industriels investissent ″le monde d’après″, la société de conseil Planair a formé quelque 80 référents énergie en industrie parmi les salariés d’entreprises de la région. "La maîtrise de l’énergie s’ancre de manière pérenne, dans tous les secteurs de l’industrie, à la manière de la qualité, et beaucoup de ces actions sont encore aidées", constate Lionel Robbe, qui souligne l’importance d’être accompagné pour éviter l’écueil, de plus en plus fréquent, d’un démarchage opportuniste.
Malgré les fluctuations, le coût moyen du MWh en France reste compétitif par rapport au marché européen, "bien plus que celui de l’Allemagne en 2024", affirme Franck Bulle. "D’autant plus que notre facture énergétique intègre, en plus de la stricte consommation et des taxes, la Tarification d’Utilisation du Réseau Public d’Electricité (TURPE). Cette dernière permet de rémunérer un service d’assistance publique auquel nous pouvons tous accéder et qui n’existe pas avec les mêmes conditions dans les autres pays de l’UE."

 

Nous avons mis en place un plan de comptage pour analyser et mieux maitriser nos consommations énergétiques. Cela nous a permis d’optimiser nos process et de réduire l’impact financé sur nos clients.

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